[Chronique de Squill] Brothers – A Tale of Two Sons
Brothers – A Tale of Two Sons (ou la quintessence du jeu vidéo)
Sortie : 03 septembre 2013
Développeur : Starbreeze Studios AB
Édité : 505 Games
Le conte est un de mes genres préférés. Entièrement composé de métaphores et d’images, il renvoie à différentes réalités (celle des enfants, celle des adultes, celle des mondes qu’il décrit). Le conte merveilleux répond à une structure précise que nous connaissons souvent d’instinct (ou par nos premières lectures ou par les études). La situation initiale qui te balance tout ce qu’il faut savoir sur ce qu’il va se passer, l’élément perturbateur qui te dit qu’il va falloir que tu te bouges, les épreuves qui s’enchaînent et qui t’apprennent des choses après leurs résolutions et la situation finale où l’ordre cosmique retrouve son équilibre. Brothers – A Tale of Two Sons se rapporte à cet héritage.
Ce dernier a tout compris de ce que devait être un jeu vidéo, dans ses mécaniques et ses imperfections. Pour le ranger un peu dans une case, il se rapprocherait d’une aventure-action 3D, où l’on incarnerait sur une même manette deux personnages. Chaque joystick est lié à l’un d’eux ainsi que les grosses gâchettes gauche/droite. Cette symétrie sera utilisée régulièrement au cours des trois heures de jeu (dans le level design et surtout l’écriture). Aucun autre bouton n’est nécessité.
En terme de scénario, nous incarnons deux frères (un grand et un petit, c’est important) qui partent en quête de l’eau d’un arbre de vie qui permettrait de guérir leur père gravement malade. Si le scénario paraît très superficiel, il sera abordé au cours de l’aventure avec une maturité déconcertante. Les deux enfants sont plongés dans un monde adulte ; qu’ils ne comprennent pas mais où ils survivent et aident ceux qu’ils rencontrent. L’insouciance n’existe finalement que dans les premiers pas de leur épopée, et sera remplacé par une omniprésence de la mort et de la violence.
Tout d’abord, ce qui fait pour moi la totale réussite artistique du jeu, outre ses musiques, son ambiance, son univers au lourd passé, c’est sa liberté d’action et le temps qu’il nous laisse pour apprécier l’ensemble. Il arrive rarement dans un jeu vidéo de se voir offrir la possibilité de réaliser ou non certaines actions ; actions qui n’auraient aucune incidence sur la suite de l’aventure. Dans ce jeu, régulièrement, je me suis arrêté pour lancer des cailloux dans l’eau, imiter un épouvantail, jouer de la harpe… Et m’installer sur un banc histoire de respirer un peu le bon air de l’art. D’ailleurs, chaque action, si elle est effectuée par l’un ou l’autre des deux frères, prend des formes différentes. En rapport avec leurs caractérisations (le petit frère, en rouge, a peur de l’eau, mais est plus insolent, innocent, naïf, bref, c’est un petiot et le grand, en bleu, il est plus calme, plus posé, plus tranquille), ces comportements apportent énormément.
Mais dans tout ça, où est le joueur ? Qui est il ? Parce qu’incarner deux bonhommes à la fois, ça fait tourner la tête, ça brouille les pistes. En vérité, le joueur incarne la relation entre les deux frères. C’est lui qui y procure l’amour, la protection, la vie aussi. Le joueur donne toute la puissance nécessaire aux sentiments de l’histoire. Le jeu est construit autour du joueur et donc de ce lien. La manette et l’interaction avec la manette est la source des sentiments du joueur, la véritable. Les créateurs ont développé ToTS avec une adéquation et une cohérence parfaite entre forme, fond et joueur. Il a compris que pour impliquer le joueur, il fallait que la manette soit l’intermédiaire véritable. J’avais rarement autant ressenti l’impact du gameplay et du level design sur ma personne (sachant que l’autre fois, c’était Journey).
Au début de mon idée d’écriture pour l’article, je pensais spoiler le jeu pour mieux en discuter. Après coup, je pense qu’il est mieux que chacun vive l’aventure qu’il doit y vivre et que je n’ai rien à dire sur les retournements de situations prévisibles ou non. C’est un jeu à vivre et dans une réalité où le jeu vidéo se veut film et où le joueur devient un spectateur, il est important de le souligner. Brothers – A Tale of Two Sons revendique fièrement son appartenance à l’art numérique.
Vous pouvez retrouver Brothers – A Tale of Two Sons sur PC, disponible sur http://store.steampowered.com/app/225080/