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Joker : Notre Critique

Une origin-story sur la némésis de Batman, réalisée par Todd Phillips. Joker avait tout du projet improbable et se révèle pourtant être une grande surprise.

Joker, Joaquin Phoenix, DC, Todd Phillips

Rira bien qui rira le dernier

Les années 2010 auront marqué l’avènement du genre super-héroïque, tout en entamant sa lente descente aux enfers, via des productions aseptisées et inoffensives. En effet, difficile de s’extasier lorsque Marvel présente son énième rassemblement de guignols en costume ou lorsque DC tente de copier maladroitement la recette déjà médiocre de son concurrent. Heureusement pour le spectateur, le second semble avoir enfin compris le peu d’intérêt de sa démarche et s’est remis en question. Une remise en question qui se présente sous les traits de Joker.

Ennemi juré de Batman depuis son apparition sur les pages de comics et dans les salles de cinéma, le clown le plus célèbre de la culture populaire a toujours su se renouveler. Du bad-guy grand-guignolesque des 80s au tueur nihiliste souhaitant seulement voir le monde brûler, le personnage a eu bien des visages et a toujours su s’ancrer dans son temps. Après tant d’années à apparaître sous bien des formes, le Joker devait être encore être traité différemment pour demeurer pertinent. Un constat que Todd Phillips, cinéaste à l’origine de la trilogie Very Bad Trip ou de War Dogs, a pris à la lettre, en décidant une approche originale.

Ainsi, Joaquin Phoenix y succède Heath Ledger, Jack Nicholson ou Jared Leto dans une origin-story sur le célèbre antagoniste. Vendu comme un retour aux sources des thrillers des années 70 et dénué de toute connexion au DC Extented Universe, ce Joker se veut aussi réussi qu’audacieux.

Joker, Joaquin Phoenix, DC, Todd Phillips

We live in a society

En substituant au Joker son antagoniste, une question se pose évidemment : comment traiter un personnage qui n’a jamais pu exister sans la présence de l’homme chauve-souris ? Une question à laquelle Todd Phillips et Scott Silver ont dû mûrement réfléchir pour développer l’oeuvre. En traitant la descente aux enfers de Arthur Fleck, comédien de stand-up raté, Joker parvient à se démarquer de The Killing Joke, sa principale influence, et creuse son propre sillon, tout en utilisant avec intelligence le lore de Batman. A la manière de Taxi Driver, le film de Phillips transforme le personnage de Fleck en un paria de la société, dont la folie montante ne sera que le reflet de l’environnement qui l’entoure.

En cela, Todd Phillips répond parfaitement à ceux qui l’ont précédé (Nolan, Burton, …) et dialogue avec son époque. De ses rues poisseuses à ses quartiers riches, le Gotham présenté ici n’a ainsi jamais paru aussi tangible et réaliste, tant il se rapproche de notre monde. Joker déploie alors rapidement la noirceur de son récit par un discours social sec et ambigu. Médias, politiciens, riches ou pauvres, tout le monde en prend pour son grade et Phillips analyse le rêve américain (ce qu’il avait déjà entrepris maladroitement dans War Dogs) pour en tirer tout ce qu’il présente de plus mauvais. Ce dernier, vu comme une solution salvatrice pour la folie du personnage, n’est finalement que ce qui la renforce davantage. De ce fait, la frontière entre le bien et le mal s’en retrouve fragilisé, chacun ayant une part de responsabilité dans la création du mal.

Joker, Joaquin Phoenix, DC, Todd Phillips

Le Dindon de la Farce

Cette absence de jugement se retrouve aussi au niveau de la construction de Arthur Fleck. En effet, le réalisateur doit réussir un numéro d’équilibriste, en parvenant à rendre empathique un personnage rongé par le mal. Ce pari osé est relevé haut la main par Todd Phillips et Joaquin Phoenix, qui parviennent parfaitement à bâtir un portrait tragique du protagoniste. Ainsi, parvient-il à jongler habilement entre l’effroi suscité par les actions d’Arthur et la pitié créée par ce qu’il endure. L’intrigue et le personnage évoluent donc sur un fil fin et fragile, où chaque action nourrit à la fois l’empathie et la peur que l’on éprouve face à cet homme.

Phillips joue magnifiquement bien sur ces émotions et entreprend une démarche risquée, filmant la folie d’Arthur comme une ascension, tandis que Phoenix représente celle-ci avec une finesse de jeu rarement vue. A mesure que l’intrigue dilatée amène son personnage au plus profond des enfers, le personnage se construit, en se nourrissant et en acceptant ses faiblesses. En outre, le fait de ne jamais condamner les actes du protagoniste revient à laisser au spectateur le soin de le faire, et de se poser la question suivante : Arthur est coupable, mais est-il le seul ?

Par cette simple problématique, Joker ramène avec lui un siècle de longs-métrages s’étant posé le même questionnement et apporte sa pierre à l’édifice, en proposant un thriller sec et ambigu, dont la brutalité est seulement la conséquence logique d’une société bâtie sur de faux préceptes.

Joker, Joaquin Phoenix, DC, Todd Phillips

Conclusion

Cru, viscéral et éprouvant, Joker est un OVNI dans le paysage cinématographique actuel. En mixant ses nombreuses influences (Taxi Driver, La Valse des Pantins) à une noirceur déroutante, Todd Phillips construit un thriller aussi âpre que les rues de Gotham et dont l’on espère que le succès poussera les grandes pontes d’Hollywood à prendre exemple sur cette proposition audacieuse.

Joker
  • Réalisation - 080%
    80%
  • Bande Originale - 075%
    75%
  • Scénario - 080%
    80%
  • Casting - 095%
    95%

Pour

  • La mise en scène de Todd Phillips, qui surprend par sa maîtrise
  • Joaquin Phoenix, qui parvient à égaler ses prédécesseurs tout en offrant une approche très différente
  • La morale ambigue, laissant au spectateur le soin de juger
  • L’écriture de Arthur Fleck, qui parvient à suscité empathie et effroi
  • L’ancrage fascinant dans notre époque
  • La gestion très maligne du lore de Batman
  • La photographie de Lawrence Sher, qui rend Gotham encore plus réaliste et vivante
  • Les partitions musicales glaçantes de Hildur Guðnadóttir

Contre

  • Quelques références visuelles à Scorsese sont parfois trop marquées
  • La relation avec Zazie Beetz qui aurait mérité d’être plus approfondie
Photo de Paul

Paul

Rédacteur Cinéma - Jeune passionné du septième art, je partage mon avis sur diverses œuvres et débat de l'actualité cinématographique.

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