Le Chant Du Loup – Critique
Déjà auteur de la bande-dessinée « Quai d’Orsay » et co-scénariste de son adaptation cinématographique, Antonin Baudry se lance dans le cinéma avec un projet d’une ambition démesurée. En effet, « Le Chant Du Loup » est un long-métrage qui promettait monts et merveilles : un drame humain et un conflit géo-politique, dans un blockbuster au budget faramineux (20 millions) et au casting cinq étoiles (François Civil, Reda Kateb, Omar Sy, Mathieu Kassovitz). Un pari osé et alléchant pour un résultat bien en-deçà des espérances. Critique garantie sans-spoilers.
La forme de l’eau
En ouvrant son long-métrage sur l’immensité de l’océan et une citation d’Aristote (« Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui vont sur la mer »). Baudry laisse entrevoir une oeuvre qui comprend et aborde avec intelligence son sujet. Toute l’introduction va d’ailleurs dans ce sens et fait preuve d’une efficacité redoutable. L’objectif est simple (sauver quatre soldats) mais tout cela permet d’amener avec une justesse implacable les différents personnages et leurs relations. La séquence gère donc avec perfection la montée crescendo de la tension et fait véritablement preuve d’une humanité sincère. Cette intensité est surtout permise grâce au gros point fort, qui ressort de l’intégralité de l’oeuvre : sa maîtrise technique.
Pour un premier essai, le réalisateur s’en sort avec les honneurs et livre une imagerie particulièrement soignée. Ainsi, sa réalisation adopte un style poseur et minimaliste. Le spectateur assiste, impuissant, à la longue descente aux enfers de ces sous-mariniers. Évidemment, il n’atteint pas la maestria de « À la poursuite d’Octobre rouge » ou « Le Bateau » . Mais il propose de vraies idées de réalisation, que l’on souhaiterait voir plus souvent dans les grosses productions françaises. On pourra évidemment regretter que ladite mise en scène tourne un peu en rond vers la moitié de l’oeuvre (les séquences sur terre ferme, notamment) ou qu’elle tombe par moments dans un épique trop exacerbé, mais, de manière générale, le résultat demeure très bon pour une première réalisation.
Cette maîtrise visuelle est aussi due à la belle photographie de Pierre Cottereau. Sublimant le sinistre bleu des profondeurs, ainsi que l’impressionnante qualité des effets spéciaux, qui n’ont rien à envier à certains blockbusters américains. « Le Chant Du Loup » livre donc de nombreux plans marquants pour la rétine et propose une immersion réussie dans ce grand bleu.
L’oreille d’or
Film de sous-marins oblige, le son a un rôle primordial dans l’oeuvre de Baudry. Sur ce point, la réussite est quasiment totale. Le spectateur plonge dans ces prisons métalliques où chaque craquement, vibration ou bruit strident annonce une mort certaine. Le personnage principal, Chanteraide (interprété par François Civil), est doté d’une ouïe particulièrement développée, lui permettant d’identifier n’importe quel son. De ce fait, le long-métrage adopte aussi la perception extraordinaire du jeune homme durant certains passages. Il développe une atmosphère unique. Ce design sonore de haute volée a aussi un intérêt narratif afin de construire l’obsession croissante du personnage autour du fameux sous-marin à quatre pales, nœud principal de l’intrigue.
Toutefois, la bande originale signée Tomadandy (« La Colline A Des Yeux », « I Wish », ...) vient un peu entacher tout ce travail sonore irréprochable. Les compositions du groupe s’avèrent plutôt réussies mais bien trop insistantes par moments. Ainsi, certaines scènes auraient pu être terriblement puissantes, mais à cause desdites musiques, tombent finalement dans un mélo agaçant.
Le chant du vide
Cependant, malgré toutes ses bonnes intentions, « Le Chant Du Loup » a autant d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau. Ce problème s’explique tout simplement par l’écriture de Baudry. Ancien diplomate français, le scénariste de « Quai d’Orsay » ne renie pas ses thèmes politiques et en imprègne le récit. Il ne se retient jamais et accuse à de nombreuses reprises. Les méthodes militaires sont d’ailleurs les premières visées, dans leur manque total d’humanité.
Le climax du long-métrage se veut d’ailleurs être une triste ironie, symbole d’un monde actuel qui se crée ses propres démons. Cependant, Baudry n’est pas le scénariste le plus subtil du monde et intègre son discours au forceps. Ainsi, certains passages tombent souvent dans le grandiloquent ou dans l’invraisemblance. A force de vouloir créer une œuvre dénonciatrice et ancrée dans son époque, il en oublie même l’essentiel : ses personnages.
De fait, une fois passé le prologue, Baudry met de coté tous les arcs narratifs prometteurs, à commencer par la relation entre Chanteraide et Grandchamp (Reda Kateb). Le premier acte de l’œuvre présentait un rapport classique, mais intéressant entre les deux hommes (l’un voyant Chanteraide comme un allié de confiance et l’autre voyant Grandchamp comme une figure paternel), qui est malheureusement mis de côté durant la majeure partie du récit. Tous les protagonistes souffrent de ce manque criant de développement et le spectateur ne craint donc jamais pour leur vie. Lorsque le réalisateur convoque des séquences résolument tragiques, aussi bien réalisées soient-elles, l’émotion n’est jamais au rendez-vous et le spectateur finit par naviguer vers le désintérêt le plus total.
On en vient à regretter que « Le Chant Du Loup » ne contienne pas plus de scènes permettant un développement desdits personnages et à ne pas comprendre, au contraire, pourquoi il s’efforce à intégrer des éléments inutiles à l’intrigue. Le meilleur exemple reste la romance insipide entre François Civil et Paula Beer, dont le seul intérêt est d’amener à un dernier plan lourd de symboles.
Le casting est lui aussi fortement touché par cette écriture calamiteuse. Une bonne moitié semble s’ennuyer durant une bonne partie du film (Reda Kateb). Tandis que l’autre fait preuve d’un surjeu tout droit sorti d’une série B des années 70 (Mathieu Kassovitz, Paul Beer). Sans oublier les quelques scènes humoristiques n’ayant rien à faire là et semblant mettre mal à l’aise les acteurs eux-mêmes. Toutefois, tout n’est pas à jeter dans ce casting. Omar Sy se débrouille étonnamment bien dans un registre sérieux. François Civil tire notamment son épingle du jeu, en proposant une interprétation touchante et toute en justesse. Hélas, le récit le scénario le sous-exploite et le relègue presque au second plan, dans sa seconde moitié.
Conclusion
Le constat est donc bien triste pour cette ambitieuse proposition de Antonin Baudry. Sur le papier, l’oeuvre du cinéaste avait tout pour plaire et laissait espérer un véritable renouveau du blockbuster français. Malheureusement, le résultat n’est clairement pas à la hauteur. Si l’ambition se retrouve indéniablement dans une mise en scène efficace. Une photographie très travaillée et un mixage sonore incroyablement immersif; l’écriture ne suit pas. Les idées sont là mais leur développement est calamiteux.
En voulant trop se concentrer sur l’aspect politique de son conflit, Baudry en oublie l’humain et signe donc une œuvre à la plastique presque irréprochable mais d’une froideur glaçante. Au final, « Le Chant Du Loup » ressemble ironiquement aux machines qu’il cherche à sublimer : D’apparence imposant mais finalement bien vide à l’intérieur.
Le Chant Du Loup
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Réalisation - 75%
75%
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Design sonore - 80%
80%
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Bande Originale - 65%
65%
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Scénario - 30%
30%
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Casting - 45%
45%
Pour
- La mise en scène claustrophobe et efficace.
- La photographie, tout en contrastes.
- Les effets spéciaux dignes d’une superproduction hollywoodienne
- Le son superbement travaillé
- La bande originale réussie dans l’ensemble.
- L’introduction, modèle d’efficacité.
- Omar Sy, surprenant, et François Civil, excellent.
Contre
- La réalisation tournant en rond vers le milieu du film.
- Les compositions musicales bien trop insistantes par moments.
- Les protagonistes manquant cruellement de développement.
- Le discours politique grandiloquent et trop présent.
- L’humour qui n’a rien à faire là.
- La romance ratée et inutile.
- Le reste du casting, entre ennui et sur-jeu.