Test – Vampyr (PS4) : Une plongée dans Londres de 1918 sublimée
À l’origine du Vampyr, le studio français Dontnod Entertainment. Ces derniers ont été à l’origine de « Remember Me », leur premier jeu se déroulant dans un univers SF très prometteur, mais ayant déçu dans sa gestion des combats. Or si l’on se souvient d’une chose dans « Remember Me », c’est la possibilité de remonter un peu dans le temps. C’est ce concept de retour en arrière qui est exploité dans leur deuxième jeu, une série épisodique « Life is Strange » qui valut la reconnaissance du potentiel énorme de ce studio. Ainsi, le succès et la notoriété de Dontnod sont présents, mais est-ce que Vampyr comblera l’attente des joueurs ?
Car Vampyr est un jeu ayant eu une longue gestation, alors le dernier-né de nos frenchies vaut-il son prix ?
Un contexte historique prégnant
Tout commence de manière assez confuse et floutée. Et ce n’est pas le contexte qui va donner une bouffée de fraicheur. Ici, tout est lourd, pesant, oppressant. Car l’année n’est autre qu’un retour en arrière d’un siècle. Ainsi l’action se situe dans une des villes les plus sales, polluées et insalubres d’Europe : Londres. Comme si cela ne suffisait pas en 1918, au point culminant (apex) de l’épidémie de grippe espagnole.
La plus grande pandémie de l’humanité même durant la peste noire
Resituons un peu le background, durant les années 1918 et 1919, une grippe maintenant identifiée comme dérivée de souche H1N1 est à l’origine de plus de 50 millions de morts. De plus, il y a eu tellement de personnes affaiblies par cette maladie que beaucoup moururent durant les années qui suivirent, le plus souvent des femmes lors de leur accouchement.
Cette grippe est dite espagnole, car le Royaume d’Espagne n’a pas participé à la Grande Guerre. Ainsi, les scientifiques ont étudié les effets de cette grippe mortelle et ont publié leur recherche. En effet, ils ne craignaient pas la censure comme les Français qui ne voulaient pas freiner l’effort de guerre.
Une autre chose importante à savoir est que l’origine se situe en Chine, se propageant aux États-Unis, puis vers les capitales européennes. Et finalement au monde entier par le biais des voyages vers les colonies. Tout ceci pour dire que les charniers étaient bien réels.
De plus, ce sont les plus pauvres qui sont les plus touchés par cette grippe dont la mortalité est 30 fois supérieure à la normale. Et si ce sont les pauvres les plus touchés, ce sont les jeunes qui en meurent le plus, car a priori non protégés par les restes d’une grippe pneumonique ayant sévi entre 1885 et 1889.
Ainsi les hôpitaux sont débordés et ne peuvent fournir assez de lits ou d’isolements pour les malades infectés. Et une des solutions est de monter des hôpitaux de fortune. Enfin le dernier recours fût les charniers et de brûler les morts.
Un réveil douloureux
C’est dans cette reconstitution hyperréaliste que Jonathan E. Reid se réveille. Tandis qu’il est désorienté, assoiffé, il s’extirpe de la fosse dans laquelle il a été laissé pour mort. Car s’il tangue, manque tomber, il est poussé par cette soif qui le tiraille, la torture. Taché de sang, il va aborder, s’accrocher et s’abreuver à la source de vie. Vidant sa victime de son sang, notre personnage récupère ses sens et une certaine stabilité.
Et tel un porteur de lumière, le voilà damné pour l’éternité, car il vient de « gorer » sa sœur. Cette mise en abîme est parfaitement orchestrée et montre un scénario qui commence très fort.
Ainsi, on se retrouve vite confronté à deux des concepts clés de Vampyr : la bestialité et l’humanité. Car notre héros s’est abandonné à la bestialité quelques secondes pour survivre, mais une fois son addiction épanchée, l’humanité et sa complexité réapparait et mets le joueur devant un premier choix qu’il n’a pas fait et l’a damné.
Cette question de choix reviendra tout au long du jeu. Et c’est ici que l’on peut dire que Vampyr est un bon Jeu de Rôle. Car il met le joueur en face de ces choix. Alors ce n’est qu’une séquence de début de jeu, mais lors de votre immersion dans les quartiers de Londres cela sera primordial.
Car si vous laissez la bestialité de votre vampire s’exprimer sur les habitants d’un quartier, il y aura des conséquences. Ici, le vampire augmente rapidement son expérience, mais il aura peu de sang sur chaque victime. De plus, un autre effet est que l’accès à ce quartier vous sera fermé, donc votre vampire ne peut plus s’abreuver avec du bétail ici.
A bon sang, les vampires reconnaissants
Lors de session de Vampyr, une chose est omniprésente, c’est le sang. Ainsi le Y de Vampyr est rouge sang et lors des chargements ou des sauvegardes automatiques, c’est encore ce logo. Même l’éditeur focus Interactive et Dontnod sont de rouge carmin vêtu pour leur logo.
Durant le jeu, la plupart des graphismes sont ternes ou dans des couleurs fades, presque délavés, ce qui immerge encore plus le joueur dans cette atmosphère oppressante. Ce qui détone le plus dans cela, le rouge sang des cadavres. De plus, si l’on passe en vision vampirique, cela donne une vision des ombres avec une seule chose qui ressort, le système sanguin des victimes potentielles. Ou tout simplement les positions des « Skals » qui ne sont autres que des goules.
Le sang, or rouge
Mais cette analyse ne serait pas complète, si l’on ne parle pas du sang comme équilibre naturel du jeu. Car le sang est le moteur de toute chose dans cet univers. Alors si c’est l’argent qui fait tourner le monde humain, dans le monde des ténèbres, c’est le sang qui règne en maître.
Car, le sang sera au centre de tout autour de Jonathan. Ainsi c’est le sang qui lui fait hériter de ce don qu’est l’immortalité. Mais c’est aussi lui qui le maudit, avec cette soif inextinguible et ce tiraillement entre mordre les gens ou leur administrer du sang.
Le symbole n’est pas fortuit, car le héros est chirurgien. Et pas un petit chirurgien de campagne, un praticien, doublé d’un chercheur qui avait fait des découvertes sur les techniques de transfusion sanguine lors de son engagement sur le champ de bataille en France.
De plus, cette période lui a permis d’expérimenter certaines choses qui vont faire progresser la médecine. Donc, c’est une personne profondément humaine et morale qui se retrouve confrontée à l’amoralité et l’inhumanité des vampires. Car ce ne sont pas des êtres empathiques, mais des monstres assoiffés de sang. Quoiqu’il faille mitiger cela, car quelques rencontres montreront une part d’humanité chez les homos vampiris.
Enfin, même si les vampires sont pourchassés par la garde de Priwen, vous serez protégé par un membre d’une société secrète. Car il voit en vous une force de frappe contre l’épidémie et aussi contre les autres spécimens de notre espèce.
Un scénario en béton armé
Au niveau scénaristique, Stéphane Beauverger et son équipe ont réussi un tour de force avec leur scénario. Car c’est une multitude de personnalités (une soixantaine) qu’il va falloir appréhender comme dans la vraie vie. Et plus on connait les personnes que l’on côtoie, plus on peut s’y attacher.
De plus, les personnes mises en avant s’avèrent plus complexes que prévu, on prend la mesure des choses et l’on remarque que chaque personnage vit dans son propre univers. Or c’est avec leur propre règle qui peut transgresser les principes moraux des autres personnages. Enfin, c’est par rapport à sa propre moralité que l’on peut se juger par rapport aux scénarios qui vont s’enchaîner selon la progression du héros dans ses enquêtes.
De la théorie des relations
Dans cet action-RPG, le role-play a une grande importance. Car les relations sont un des fondements de cette histoire vampirique. Alors est-ce que l’on peut dire que l’échange de sang donne les souvenirs de l’autre, c’est plutôt dans l’œuvre d’Anne Rice que l’on a ce principe.
Dans le cas de Vampyr, les relations sont une extension du scénario. Pour résumer rapidement, tout en étoffant son cercle social, il est tout aussi important de récupérer tous les objets pour pouvoir fabriquer des potions et autres sérums. Car ces derniers permettront de sauver ou amoindrir les effets de la maladie sur les personnes. Ainsi, ils récupéreront plus vite et auront une augmentation de leur santé, donc de la qualité de leur sang. Et cela pour un vampire chirurgien c’est la plus grande des récompenses.
Des enquêtes à foison
De plus, un des autres aspects jouissifs du jeu est la part non négligeable d’enquêtes qu’il est nécessaire de mener.
À l’instar d’un commissaire Lecoq d’Emile Gaboriau, vous allez au gré de vos échanges sociaux, avoir des mini-(en)quêtes. Ces dernières permettront de découvrir des pans entiers de l’aventure et des autres. Ainsi, on commence par se connaître en tant que nouveau-né en essayant d’apprivoiser nos nouvelles capacités. Puis, on se retrouve dans une chasse au vampire où le personnage est le gibier. Et une fois hors de portée des chasseurs de vampires, on va rechercher son géniteur pour savoir pourquoi ou pour la vengeance.
Mais tout cela nous amène à un hôpital pour aider le directeur de l’hôpital qui n’est autre qu’un chasseur de vampire. Alors l’alliance se fait pour la sauvegarde des humains encore vivants dans ces quartiers de Londres à l’agonie. Toutefois, cela n’est pas si simple, car le monde hospitalier et ces blouses blanches ne sont pas si blancs que cela. Ainsi, il apparaît que toute personne à des secrets cachés. Puis, on ira vers Whitechapel, les Docks, West-end. Bref, ce jeu prend de l’envergure et dépasse les lieux ou les personnes, mais est assez intemporel comme le héros principal du jeu.
Pour approfondir un peu les connaissances sur les enquêtes, une petite digression sur Gaboriau qui fût à l’origine des enquêteurs scientifiques dans les romans policiers. Car si beaucoup de gens pensent en premier à Sherlock Holmes, son auteur s’est beaucoup inspiré de Gaboriau pour son personnage fétiche, mais en le rendant plus anglais et déjanté. Bref, plus londonien.
Du loot et de la récupération à tout va
Comme dit deux paragraphes plus haut, il est utile de récupérer le maximum d’objets pour pouvoir fabriquer des potions et autres sérums. Mais cela n’est pas suffisant, il faut aussi rechercher les différents manuscrits ayant des recettes de potions ou d’antidotes. Tout ceci pour mieux faire récupérer des personnes ou pour parfaire sa panoplie du « petit vampire ».
Enfin, le loot des shillings permet de s’acheter des choses par le biais de marchands que nous découvrons au fil des pérégrinations nocturnes de Jonathan. Et les objets et la monnaie se trouvent aussi sur les cadavres dont on va systématiquement faire les poches. Et sur les goules que l’on tue, on ne se privera pas plus. Donc on n’est pas loin de l’oncle Picsou, mais en plus altruiste envers son prochain.
Une arborescence d’améliorations
Alors cela n’est pas mal pensé avec des compétences actives et des passives. A l’instar d’un jeu de rôle, les possibilités générales sont les suivantes :
- Défensive
- Agressive
- Tactique
- Ultime
- Corps
- Sang
- Morsure
- Science
Toutes ces compétences sont soumises à des arbres de compétences qui se déverrouille ensuite, par exemple l’autophagie possède 5 niveaux qu’il faudra acquérir par la dépense de points d’expérience.
Une atmosphère à la Jack l’éventreur
Car l’atmosphère du jeu est bien retranscrite dans ce contexte post-Victorien. De plus, la musique y est pour beaucoup avec les bruitages et les sons. Et derrière tout cela, on retrouve Olivier Derivière, ce dernier a réalisé un travail d’orfèvre sur la bande-son qui augmente l’immersion dans cette histoire horrifique par moment. Et ce compositeur est connu de Dontnod, puisqu’il est déjà à l’origine de celle de « Remember Me ». Enfin, s’il y a une façon de jouer optimum, c’est de le faire avec un casque audio, si possible 7.1. Comme cela, les sons peuvent vous faire sursauter si vous êtes happés dans l’univers et que vous allez explorer les bas-fonds.
De la baston, y’en a, pas de mouron
Alors s’il y a un point d’achoppement dans Vampyr, c’est le système de combat, qui s’il est simple s’avère assez approximatif parfois. Ainsi, lorsque l’on arrive près d’un ennemi, un Skal au hasard, le meilleur moyen de le tuer est de le surprendre. Or lors d’une progression furtive vers le Skal, souvent celui-ci étant en train de se nourrir sur une victime. Donc le tuer devrait être rapide, pourtant le plus souvent, selon les angles de la caméra, même avec le verrouillage, Jonathan peut se faire rapidement détruire et il va falloir recommencer au dernier point de sauvegarde.
Alors peut-on améliorer notre efficacité au combat par des améliorations de l’armement ou par une augmentation des compétences vampiriques comme les points de sang, les dégâts et la magie. Mais comme ce sont des objectifs du jeu, il est utile de les découvrir par soi-même, l’expérience dans le jeu est bien plus importante que la théorie.
De retour dans la réalité avec des sources d’inspirations
Pour faire une petite digression, mais on est plus à une près. Car Vampyr se déroule dans la période post victorienne et il nous donne à déambuler dans des ruelles de plusieurs quartiers de la capitale anglaise. Ces quartiers sont mythiques avec les Docks de l’East End, l’hôpital Pembroke, Whitechapel et West End. Alors pour qui a lu Sir Conan Doyle, c’est un peu au côté de Sherlock que l’on se trouve. Non, tout compte fait ce serait plutôt au côté du Docteur Jekyll, euh, non, Mister Hyde.
Bref, c’est une atmosphère glauque qui colle à la peau. Et si le jeu peut paraître trop gentil dans part son côté humaniste et le soin des malades. Or il s’avère que le côté obscur est en miroir et surtout les descentes dans des endroits encore plus sombres avec les Skals donneront quelques sueurs froides pour qui n’est pas fan des films d’horreur.
Ainsi, le réalisme est un tour de force dans ce produit qui donne matière à réfléchir à notre Humanité, mais aussi que tout acte à des conséquences. Et là, le contrat est totalement rempli.
Enfin pour la petite anecdote, c’est de la fiction, mais Edward Cullen de « Twillight » est un cousin de Jonathan Reid, car il est un vampire depuis 1918 lui aussi et est donc centenaire pour tous les fans de bit-lit.
Conclusion
Si ce jeu n’est pas un AAA, c’est un très très bon AA, car l’ambiance est lourde comme un bon film d’horror fantasy. Et si les personnages sont hauts en couleur, par rapport aux couleurs fades du jeu. Cela à pour conséquence de mettre en avant les sentiments humains (voire inhumains) dans cette période trouble de l’Histoire.
Tous les PNJ ayant un background social ont toujours des raisons qui apparaissent légitimes au bout d’un moment si l’on creuse. Ainsi pour conclure, si Vampyr traite de l’immortalité et de la damnation, c’est surtout pour mettre en avant les plus beaux sentiments d’humanité en avant, si on fait ce choix-là, bien sûr.
Alors le jeu n’en est que plus difficile à gagner, mais c’est ce qui fait partie de son charme. De plus, si la bestialité est votre crédo, le héros aura de l’expérience plus rapidement, mais perdra beaucoup de sang et d’expérience sur le long terme pour les personnes qu’il remettra sur pied. Donc c’est un choix propre au joueur et cela augmente encore la crédibilité du RPG. Enfin, les différents choix du joueur ont des conséquences sur le déroulement.
Par exemple, si vous décidez de ne pas révéler le secret de quelqu’un ou d’un couple, cela peut donner de la confiance au PNJ, mais cela va fermer totalement l’interaction par rapport à cela et donc les arbres de décisions du jeu. Alors Vampyr est un jeu grandiose tout simplement.
Avis sur Vampyr
-
Scénario - 95%
95%
-
Graphisme - 95%
95%
-
Sons - 90%
90%
-
(Re)-jouabilité - 90%
90%
-
Ergonomie - 90%
90%
Pour
- Le vampire tiraillé entre bestialité et humanité
- La bande son magistrale d’Olivier Derivière
- Le scénario béton de Stéphane Beauverger
- Les interactions sociales poussées
Contre
- Les temps de chargement ultra long
- La difficulté des ennemis si on est médecin dans l’âme
- Les combats brouillons parfois